Vendredi de gratitude avec Ariane Mukundente

Vendredi de gratitude: Felicula Nyiramutarambirwa, la pionnière

Felicula Nyiramutarambirwa

Pour ce vendredi de gratitude, je vous présente une femme hors du commun au nom de Felicula Nyiramutarambirwa que j’ai eu le privilège de connaître personnellement. Déjà très jeune, je me suis rendue chez elle avec sa sœur religieuse, Petite sœur Monica de Jésus. Elles habitaient une maison nichée dans un champ de bananier. Je n’ai jamais oublié mon passage en ce lieu car je n’avais jamais vu des bananiers aussi hauts et serrés en si grand nombre les uns sur les autres. Avec le vent, leurs feuilles faisaient un bruit énorme, le lourd bruissement produit par une véritable forêt de bananiers. Et non, ce n’était pas à Kibungo mais bien à Gitarama, dans la commune de Mukingi. Un bon souvenir que je garde dans ma tête avec celui de sa maman si accueillante et à l’affection débordante.

Telle mère, telle fille : je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi fort caractère, courageuse, charismatique, aimable, rassembleuse… bref une leader-née que Felicula Nyiramutarambirwa. Et son parcours est impressionnant. Elle était auxiliaire de l’Apostolat, ce qu’on appelait communément ‘’abakobwa ba Musenyeri’’. Elle fut professeure et directrice de l’École sociale de Karubanda à Butare, une école secondaire pour jeunes filles. Elle a quitté la direction de l’école quand elle fut élue Députée au Conseil National de Développement (CND) pour représenter la préfecture de Gitarama où elle remplit cette fonction avec brio, en vraie représentante du peuple.

Felicula Nyiramutarambirwa avait le courage de penser en dehors du système, de le remettre en cause, et surtout de modifier le statu quo. Elle n’avait pas peur de sortir des sentiers battus pour trouver des solutions innovantes. C’est pour cette raison qu’elle a bataillé, malgré l’échec de ses efforts, contre la dot à la rwandaise car elle considérait que la femme était traitée telle une marchandise. Elle avait une confiance en elle qui suscitait l’admiration. Felicula Nyiramutarambirwa savait ce qu’elle voulait et ce qu’elle pouvait apporter aux autres en faisant preuve d’un leadership orienté vers le résultat. Elle n’en considérait pas moins les avis des autres tout en nourrissant les relations personnelles qui construisent les équipes soudées par l’atteinte d’objectifs communs.

Félicula Nyiramutarambirwa montra son leadership, notamment, en réunissant les parents de quatre communes, Mukingi, Tambwe, Ntongwe et Kigoma de la région de Gitarama pour fonder en 1988 une école secondaire privée, le Groupe Scolaire Indangaburezi, de Ruhango. Son premier Directeur n’était autre que le journaliste de la VOA Venuste Nshimiyimana qui lança l’école avec 80 élèves alors qu’elle en compte aujourd’hui près de 2500, allant du cycle secondaire à l’université. L’église fournit le terrain et l’école fut construite à crédit par feu Ignace Rulinda (RIP) qui avait beaucoup d’affection pour Felicula Nyiramutarambirwa.

Felicula Nyiramutarambirwa fait partie des trois samaritaines qui ont eu l’initiative de venir en aide aux femmes du Rwanda en détresse en fondant l’organisation Umushumba mwiza – Le bon Pasteur. L’idée même en est attribuable à une autre grande dame au grand cœur, Thérèse Mujawayezu, qui en a fit part à son amie la Reine Gicanda Rosalie ainsi qu’à la Députée Felicula Nyiramutarambirwa. Les trois compères en ont recruté sept autres, dont trois prêtres, et ce sont ces dix âmes charitables qui en sont venus à créer l’association du Bon Pasteur.

Mais pour beaucoup, la réalisation la plus spectaculaire de Nyiramutambirwa est la création en 1987 au Rwanda, avec la complicité de près de 30 personnes, d’une institution de Microfinance appelée DUTERIMBERE. Cette dernière existe toujours et compte parmi les plus importantes au pays. Afin de bien saisir l’ampleur des retombés de ce projet et l’impact de Felicula Nyiramutarambirwa sur la vie des gens, il suffit de lire ces quelques mots de l’américaine Jacqueline Novogratz, fondatrice et PDG d’Acumen, une association à but non lucratif américaine pour aider les pauvres par la promotion de l’entreprenariat:

” 1986. Kigali, Rwanda. I am standing in a field on a blue-sky day, surrounded by tall, yellow sunflowers. I am a twenty-five-year-old former banker dressed in a flowery skirt, wearing flat, mud-speckled white shoes, my head filled with dreams of changing the world. Beside me is an apple-cheeked, bespectacled nun in a brown habit smiling broadly. Her name is Felicula, and I adore her for taking me under her wing. Along with a few other Rwandan women, she and I are planning to build the first microfinance bank in the country. Today, we’re visiting a sunflower oil-pressing business, the kind of tiny venture our bank might one day support. We plan to call the microfinance organization Duterimbere meaning “to go forward with enthusiasm.”

All I see is upside.

  1. Kigali, Rwanda. I am standing at an outdoor reception on a starry night, surrounded by men and women in dark suits. I am the fifty-five-year-old CEO of Acumen, a global nonprofit seeking to change the way the world tackles poverty. Rwanda’s president, Paul Kagame, and his top ministers are at the reception to meet potential investors in a new $70 million impact fund Acumen is building to bring solar electricity to more than ten million low-income people in East Africa ”.

Ces mots sont extraits de son livre “Manifesto for a Moral Revolution”. Et voilà! Quoi dire de plus? Le Rwanda a de quoi être fier de cette femme exceptionnelle qui a changé la vie de beaucoup de gens de son vivant et même au-delà, jusqu’à aujourd’hui. Malheureusement, comme bien d’autres héros, Felicula Nyiramutarambirwa connut une fin tragique, en 1989. Elle est tuée dans un accident de voiture aux circonstances encore non élucidées. Peu de temps après sa mort, le directeur du Groupe Scolaire Indangaburezi a mobilisé les membres de l’organisation ainsi que d’autres rwandais pour mettre en place la Fondation Felicula Nyiramutarambirwa ayant pour objectif de poursuivre son œuvre d’éducation auprès des enfants rwandais.

Toutefois, alors que le communiqué annonçant la tenue de l’assemblée constituante de la Fondation venait de passer à la radio nationale et que des bienfaiteurs avait déjà commencé à verser leurs contributions, des responsables des Services de renseignements sont venus solliciter le report des assises. Le directeur a tout bonnement refusé. Par après, l’évêque de Kabyayi, Monseigneur Thaddée Nsengiyumva, s’est déplacé à Ruhango pour demander au directeur de reporter la création de la Fondation. Monseigneur Thaddée a également exigé qu’un autre communiqué soit transmis à la radio pour annuler la première annonce. On évoquait alors que la création de la Fondation pourrait entraîner des émeutes. Le régime soupçonnait également, sans chercher vraiment à l’expliquer, que le nouvel organisme risquait de jeter les bases à la création d’un parti politique qui pourrait fédérer les gens de la région de Gitarama.

Et voilà comment la paranoïa empêcha qu’une belle action voit le jour, et ce au nom de Felicula Nyiramutarambirwa. Qu’importe, ses œuvres d’hier à aujourd’hui parlent d’elles-mêmes. C’est l’une des femmes rwandaises qui, par ses actions remarquables, mérite que son nom figure avantageusement dans la liste des Héros du pays. C’est avec humilité que je vous demande de rendre hommage à cette dame aux valeurs humaines hors du commun. Une véritable inspiration pour les jeunes filles rwandaises. En ce qui me concerne, je salue son engagement en politique comme grande pionnière. Ce sont des femmes comme Felicula Nyiramutarambirwa dont nous avons besoin. Des femmes de conviction au service du peuple.

Felicula Nyiramutarambirwa, niyubahwe!

Ariane Mukundente

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