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Les procès fondés sur la compétence universelle en France : enjeux probatoires, risques d’instrumentalisation et limites structurelles face aux crimes internationaux.

Résumé

Cet article examine les limites des juridictions nationales – en particulier des cours d’assises françaises – dans le jugement des crimes internationaux au titre de la compétence universelle. Il analyse notamment la valeur probatoire des témoignages à charge dans des dossiers complexes impliquant des accusés rwandais, s’appuyant sur les cadres théoriques de la justice transitionnelle et des études sur le témoignage sous contrainte politique. L’article rappelle la jurisprudence du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), notamment l’absence d’établissement d’un plan centralisé et explicite du génocide, et discute la hiérarchie juridique entre juridictions nationales et tribunaux de l’ONU. Enfin, il explore les risques d’instrumentalisation diplomatique, illustrés par le contexte des relations franco-rwandaises.

1. Introduction

Depuis les années 2000, la France est devenue un acteur central de la mise en œuvre de la compétence universelle, en particulier à propos du génocide des Tutsis au Rwanda de 1994. Plusieurs procès de ressortissants rwandais, dont Sosthène Munyemana et Eugène Rwamucyo, illustrent les difficultés inhérentes à la transposition de crimes internationaux dans un cadre juridictionnel national.

Cette dynamique soulève trois défis majeurs :

  1. La structure de la cour d’assises, dont l’esprit originel repose sur la participation de jurés citoyens peu formés à la complexité du droit international pénal.
  2. La valeur probatoire des témoignages, particulièrement lorsque ceux-ci proviennent du Rwanda, un État où l’expression publique peut être contrainte par un récit officiel.
  3. L’articulation avec la jurisprudence internationale, notamment celle du TPIR, qui n’a pas établi l’existence d’un plan explicite et centralisé du génocide (ICTR, Bagosora et al., 2008).

2. L’esprit des cours d’assises : un modèle citoyen inadapté à la complexité du droit international pénal

Institution de tradition démocratique, la cour d’assises repose sur la participation de jurés tirés au sort afin de soumettre les crimes les plus graves au jugement du peuple (Garapon, 1996). Il s’agit de faire juger les crimes par le peuple, aux côtés de magistrats professionnels.
Ce recours aux jurés citoyens reposait sur deux principes fondateurs :

  1. Un contrôle démocratique du pouvoir judiciaire, afin de prévenir les abus.
  2. Une compréhension intuitive des faits, car les crimes jugés étaient enracinés dans la société française et accessibles à la culture commune des jurés.

Mais appliquer ce modèle à des crimes commis au Rwanda, en Syrie, en RDC ou en ex-Yougoslavie revient à demander à des citoyens tirés au sort de trancher des événements auxquels ils n’ont aucun repère culturel, historique ou politique. Ce modèle présume que les citoyens peuvent interpréter les faits à partir de leur connaissance commune du monde social. Or, les crimes internationaux exigent une compréhension :

  • des dynamiques géopolitiques d’une région étrangère,
  • des logiques de violence collective,
  • des structures politico-militaires,
  • et de la jurisprudence internationale.

Comme l’écrit Martti Koskenniemi, « le droit international pénal n’est pas une extension du droit pénal classique, mais un univers conceptuel entièrement distinct » (Koskenniemi, 2002). Dans ce contexte, placer des citoyens non formés au cœur de décisions d’une telle portée comporte un risque d’erreur structurelle. Ce modèle citoyen, admirable dans son principe, n’a pas été conçu pour juger des crimes internationaux, mais pour exprimer la conscience civique d’une société sur ses propres déviances.

3. Le risque d’instrumentalisation diplomatique : l’exemple France–Rwanda

Les relations franco-rwandaises ont été profondément marquées par le génocide et les divergences d’interprétation historiques (Prunier, 1995 ; Vidal, 2019).
Plusieurs chercheurs ont souligné qu’à certains moments, des actes judiciaires ou politiques ont pu servir de signaux diplomatiques destinés à apaiser ou améliorer les relations bilatérales (Reyntjens, 2020).

Dans ce contexte, les procès fondés sur la compétence universelle peuvent devenir un instrument de reconnaissance politique, un moyen de réduire les tensions, et/ou une manière d’affirmer une position diplomatique. Loin d’accuser la justice française d’obéissance politique, il s’agit d’analyser un risque structurel, déjà documenté dans d’autres contextes (Akhavan, 1998 ; Hagan, 2003).

4. La production du témoignage dans un environnement politique contraint

4.1. Le témoignage comme construction sociale

Dans les environnements post-conflit, le témoignage ne peut être considéré comme une simple “observation factuelle”. Les travaux d’Alex Hinton (2002), Nigel Eltringham (2019) ou Lars Waldorf (2006) montrent que le témoin évolue dans une économie de la peur, une politique étatique de la mémoire, et un cadre narratif institutionnel. Comme l’écrit Waldorf, le génocide rwandais a été judiciarisé à un tel point qu’en parler n’est jamais un acte neutre ( the Rwandan genocide has been judicialized to such an extent that speaking about it is never a neutral act ) (Waldorf, 2006).

4.2. Pressions politiques et auto-censure

Dans des États où le récit officiel est strictement encadré, le témoin peut redouter des sanctions administratives, la perte de biens, des atteintes à sa réputation, et/ou des risques pour sa sécurité.

Dans de telles situations, l’alignement sur le discours institutionnel devient une stratégie de survie, ce que les anthropologues appellent l’adaptation narrative (Buckley-Zistel, 2006).

4.3. Le phénomène du “coaching” des témoins

Plusieurs études indiquent que dans les procès liés à des crimes de masse, les témoins peuvent être préparés par des acteurs étatiques, sélectionnés en fonction de leur adhésion à la version dominante, et influencés par des autorités locales ou des ONG (Clark, 2010). Ce phénomène est particulièrement documenté dans les procès post-conflit au Rwanda (Thomson, 2013).

5. Les procès Rwamucyo et Munyemana : enjeux probatoires

Dans les procès menés en France contre Sosthène Munyemana et Eugène Rwamucyo, la documentation publique disponible montre que les accusations reposaient largement sur des témoignages oculaires, des récits d’implication dans des réunions, barrages ou comités, et des descriptions d’actes commis lors des massacres.

Sans commenter les faits ni prendre position sur la véracité des accusations, il est essentiel d’observer que :

  1. Une large part des témoins vivaient au Rwanda, dans un État où la mémoire du génocide fait l’objet d’un contrôle politique centralisé (Reyntjens, 2019 ; Thomson, 2018).
  2. Des ONG et universitaires ont documenté les difficultés liées à la production d’un témoignage indépendant dans ce contexte.
  3. Les juridictions françaises ont dû apprécier ces témoignages sans disposer des outils méthodologiques spécialisés utilisés par les tribunaux internationaux.

Les travaux sur la fiabilité des témoignages dans les environnements autoritaires montrent que la peur des représailles entraîne une adaptation du récit, l’absence de pluralité narrative qui fragilise la contradiction et que la dépendance à un seul cadre interprétatif peut biaiser l’analyse.

6. La jurisprudence du TPIR : une référence incontournable

Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) demeure la juridiction la plus compétente en matière d’établissement des faits entourant le génocide. L’un de ses apports majeurs concerne la planification du génocide.
Dans l’arrêt Bagosora et al. (ICTR-98-41), la Chambre d’appel a confirmé que le procureur n’avait pas établi l’existence d’un plan explicite, centralisé et préconçu pour exterminer les Tutsis. Le génocide a été reconnu – ce qui est indiscutable –, mais sans qu’une directive formelle ou un ordre central unique n’ait été démontré.

Cette nuance juridique est fondamentale. Elle signifie qu’un tribunal national ne peut affirmer l’existence d’un plan explicite si la juridiction internationale compétente ne l’a pas établi. En effet, selon le droit international il existe une primauté des tribunaux de l’ONU à l’instar des tribunaux ad hoc (TPIR, TPIY) créés par le Conseil de sécurité agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte de l’ONU. Leurs décisions s’imposent aux États membres et aucune juridiction nationale ne peut contredire leur jurisprudence dans leur domaine de compétence (Cassese, 2003).

Ainsi, la France, dans ses procès de compétence universelle, devrait se conformer à la jurisprudence internationale existante, éviter de requalifier des éléments non établis par le TPIR, et s’abstenir de porter des analyses contradictoires sur les mécanismes du génocide.

7. Conclusion : pour une justice universelle spécialisée et cohérente

Les procès Munyemana et Rwamucyo illustrent les défis d’une justice nationale confrontée à des crimes internationaux complexes. Les témoignages provenant d’un environnement où la liberté d’expression est restreinte doivent être analysés avec les outils critiques développés par l’anthropologie du témoignage, la psychologie judiciaire et la justice transitionnelle.

Pour garantir l’équité et la légitimité, la France devrait créer :

  • une juridiction spécialisée permanente,
  • dotée de magistrats formés en droit pénal international,
  • capable de respecter la jurisprudence onusienne,
  • et de contextualiser les preuves produites dans des États politiquement sensibles.

Chaste GAHUNDE

21/11/2025

Références bibliographiques

Akhavan, P. (1998). Justice in the Hague, Peace in the Former Yugoslavia? Human Rights Quarterly.

Buckley-Zistel, S. (2006). Remembering to Forget: Chosen Amnesia in Post-Genocide Rwanda. Africa.

Cassese, A. (2003). International Criminal Law. Oxford University Press.

Clark, P. (2010). The Gacaca Courts, Post-Genocide Justice and Reconciliation in Rwanda. Cambridge University Press.

Eltringham, N. (2019). Genocide Never Sleeps. Cornell University Press.

Garapon, A. (1996). Criminologie et démocratie. Odile Jacob.

Hinton, A. (2002). Annihilating Difference: The Anthropology of Genocide. University of California Press.

ICTR (2008). Bagosora et al., Judgment and Sentence. ICTR-98-41.

Koskenniemi, M. (2002). The Gentle Civilizer of Nations. Cambridge University Press.

Prunier, G. (1995). The Rwanda Crisis. Columbia University Press.

Reyntjens, F. (2019). General Kagame’s Rwanda. Oxford University Press.

Thomson, S. (2013). Whispering Truth to Power. University of Wisconsin Press.

Vidal, C. (2019). Rwanda, 1994 : Une histoire populaire. La Découverte.

Waldorf, L. (2006). “Mass Justice for Mass Atrocity.” Journal of International Criminal Justice.

Paul Kagame : une menace majeure, et à très court terme, à la paix en Afrique

Comment la théorie de Paul Kagame d’user de son droit d’ intervenir partout où les “rwandophones” seraient menacés dans le monde, est non seulement absurde mais surtout dangereuse.

Rwandophones? Une mise au point sémantique

Ces derniers temps quand Paul Kagame parle de “rwandophones”, il veut en réalité parler de Tutsi et pas de tous les locuteurs du Kinyarwanda. Ceci pour tenter de se tirer de la contradiction que soulèverait son décret annonçant que les ethnies Hutu, Tutsi et Twa n’existeraient pas au Rwanda ni ailleurs, et en même temps continuer à dire qu’il est en croisade pour défendre les intérêts des Tutsi partout dans la région comme il le chantait depuis 1990-94 en conquérant le Rwanda. Ses conseillers lui ont donc convaincu de changer d’appellation et de parler de “rwandophones” en lieu et place des “Tutsi”. Mais, ce faisant, il rend cette mission qu’il s’est fixée, à savoir “défendre les rwandophones partout dans le monde”, plus ridicule et plus encore dangereux comme nous allons le voir.

Il faudra donc lire et entendre dans le vocable “rwandophones” venu de la bouche ou de la plume de Kagame , les “Tutsi”.

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Jeannette Kagame ameze nka Mafiyeri wo mu Gatenga!

Ahantu kera twari dutuye mu Gatenga, twaravugaga ngo tugiye kuri video (kureba film) iyo twasohokaga tukajya ku muhanda. Buri gihe ntihaburaga activité isa nk’ibyo tubona muri entertainment ku ma TV na social medias ubungubu. Byaba igipfunsi, byaba action, byaba drama, byaba urukundo, byaba comedy byose ntago waburaga film ureba iyo wajyaga kuri video. Mbese byabaga ari nka film ibera muri real life. Twabyita ko byari LIVE TELEVISION cyangwa LIVE VIDEO ariko camera zikaba amaso yacu.

Rimwe rero kuri video habaye deal. Umugabo witwaga MAFIYERI (irihimbano kubera ukuntu yagendaga), agura uruhu rw’ihene n’umwana witwaga Wilson (WIRISONI). Ubwo rero MAFIYERI yanze kwishyura WIRISONI. Nuko WIRISONI rero si ukudukinira film akora imyigaragambyo umuhanda wose arawuhagarika. Ibyo kw’iseta bihinduka imyigaragambyo.

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UTOPIE CHRÉTIENNE VERSUS REALPOLITIK – LES CAS DE MARTIN LUTHER KING ET DE VICTOIRE INGABIRE UMUHOZA

Depuis que, il y a exactement un demi-siècle, (choqué par la terrible réalité des guerres et de la souffrance des pays les plus démunis dans un monde aux dépenses militaristes exorbitantes) j’ai commencé à être fasciné par la doctrine et le mouvement de la Non-violence, j’ai toujours été frappé par un phénomène très typique de notre Occident sécularisé.

D’une part, beaucoup de ceux qui sont attirés par la spiritualité ne sont généralement pas livrés à l’action politique. Non pas parce que c’est une vocation à laquelle ils ne se sentent pas appelés. C’est tout à fait respectable. Mais parce que, trop souvent, ils y voient un activisme de nature inférieure, un activisme trop mondain. Ce qui, à mon avis, trahit que leur spiritualité est plutôt un spiritualisme désincarné dans lequel une dimension, la dimension politique, qui nous façonne en tant qu’êtres sociaux que nous sommes, n’a pas été intégrée. Un spiritualisme dans lequel la souffrance des plus opprimés et des plus démunis n’est pas suffisamment centrale pour nous amener à découvrir que la réalisation ou non d’un monde plus juste et pacifique n’est pas possible sans l’enjeu de la politique.

Mais d’autre part, dans le monde de l’action politique, on considère trop souvent que les « croyances », et surtout ce que l’on pourrait appeler les expériences mystiques, doivent rester dans le domaine de la sphère privée. À tel point qu’il est mal vu et considéré comme irréaliste d’y faire référence publiquement et de les mélanger avec des réalités sociopolitiques pures et dures. Mais le plus déconcertant c’est que beaucoup de ceux qui pensent ainsi savent que les maîtres de la non-violence étaient de véritables mystiques qui rendaient publiques leurs expériences spirituelles les plus intimes, mais qu’en même temps leur lutte politique était exemplaire et que les résultats de cette lutte méritent un grand respect.

Le problème vient lorsqu’il s’agit d’accepter que ces maîtres ne l’auraient jamais été sans la force intérieure qui a jailli comme un torrent de ces expériences. Et, surtout, le problème se pose lorsqu’il s’agit d’accepter l’essentialité de cette dimension mystique non pas dans ces personnalités universellement reconnues, désormais éloignées dans le temps et même idéalisées, mais dans l’ici et maintenant de nos propres luttes pour la justice et la paix. J’ai souvent constaté que les mêmes personnes qui respectent Martin Luther King, ou Pere Casaldàliga et Ramon Llull à notre niveau plus local, réagissent avec malaise lorsqu’on affirme qu’ils sont incompréhensibles sans leurs expériences mystiques chrétiennes. Ou lorsque, au milieu de nos propres luttes, nous faisons appel à la même dimension spirituelle qui a soutenu ces géants.

Ce n’est pas un hasard si notre ami intime et maître dans la pratique de la non-violence, Prix Nobel de la Paix en 1980, Adolfo Pérez Esquivel, a choisi pour sa biographie le titre El Cristo del poncho (Le Christ du poncho). Adolfo peut être considéré comme un « rêveur » dans le style du Mahatma Gandhi et de Martin Luther King (« I had a dream… »). Un « rêveur » profondément réaliste. Comme eux aussi. Même si, en tant que visionnaires et êtres humains exceptionnels, leur vie et leur message sont déconcertants pour ceux qui évoluent dans un réalisme trop plat. Leur « rêve » du Christ du poncho était une anticipation du futur, un « rêve » prémonitoire qui nous montre que la réalité est un continuum espace-temps, comme l’a formulé Albert Einstein. Le fait que ce « rêve » ait donné le titre à son livre biographique est un indicateur de la centralité de cette vision pour Adolfo. Il l’explique lui-même à un endroit bien visible du livre:

« Lors d’un de mes premiers voyages en Équateur, j’ai fait un rêve: j’ai vu un Christ en croix portant un poncho. Plus tard, dans une des fraternités de Charles de Foucauld, en entrant dans la chapelle, j’ai découvert sur le mur le Christ du poncho que j’avais vu en rêve. Depuis lors, cette image m’a toujours accompagné. Après ma sortie de prison à La Plata, j’ai commencé à peindre le Christ en poncho. C’est le Christ des pauvres, le Christ sans visage, sans mains ni pieds. Mais son visage, ses mains et ses pieds sont ceux des Indiens et des paysans d’Amérique latine. »

La référence publique aux réalités spirituelles dans le vacarme de la lutte politique, le recours à des éléments tels que le jugement de Dieu ou son intervention dans l’histoire en faveur de la justice et du renversement des puissants (Évangile de Luc 1:56), provoquent presque toujours une réticence, voire un rejet pur et simple. Même chez les chrétiens pratiquants, qui tout au long de l’année liturgique écoutent des textes prophétiques ou du Nouveau Testament, qui ont beaucoup à voir avec tout cela. « Maintenant, laissons l’Évangile et revenons à la réalité », disait ironiquement un ami prêtre à propos de la grande incohérence évangélique des chrétiens. Ou comme, beaucoup plus sérieusement, trop de théologiens affirment: « Une fois le monde créé, avec ses propres lois et sa dynamique évolutive, Dieu n’intervient plus directement dans l’Univers ou dans l’Histoire ». Dommage, c’est leur perte. Le pire est qu’ils confondent et scandalisent les anavim, les « petits » et les sans défense. Parce que Dieu entend vraiment nos prières et intervient dans nos vies. Le cas spécifique de Martin Luther King peut parfaitement l’illustrer.

La prière continue d’être pratiquée aujourd’hui aussi par de nombreuses personnes dans notre monde rationaliste et positiviste de la science et de la technologie, où il y a tant de mépris pour la religion et même la spiritualité. Beaucoup de ces personnes, d’ailleurs, ont été et sont des réalistes combattants désintéressés et tenaces pour un monde plus juste. Comme Martin Luther King, qui, dans le dixième chapitre de son autobiographie, qu’il a intitulée La force d’aimer, a raconté comment, au point d’inflexion de sa vie, il a prié le Seigneur du plus profond de son cœur et que Celui-ci a radicalement tout changé, bénissant à jamais sa mission de lutte pour la justice et la vérité:

« Après une journée particulièrement fatigante, je me suis couché très tard. Ma femme s’était déjà endormie et je commençais à peine à le faire quand le téléphone a sonné. Une voix irritée a dit: ‘Écoute, nègre, nous avons pris des mesures contre toi. La semaine prochaine, tu maudiras le jour où tu es venu à Montgomery’. J’ai raccroché, mais je ne pouvais plus dormir. C’est comme si toutes mes peurs s’étaient effondrées sur moi en même temps. J’avais atteint le point de saturation.

J’ai sauté du lit et j’ai commencé à faire les cent pas dans la pièce. Finalement, je suis allé dans la cuisine pour faire chauffer du café. J’étais prêt à tout abandonner. J’ai essayé de trouver un moyen de m’en sortir sans avoir l’air d’un lâche. Dans cet état de découragement, alors que mon courage était presque mort, j’ai décidé de présenter mon problème à Dieu. La tête dans les mains, je me suis penché sur la table de la cuisine, en priant à haute voix. Les mots que j’ai adressés à Dieu ce soir-là sont encore bien vivants dans ma mémoire: ‘Je suis ici pour prendre position pour ce que je crois être juste. Mais maintenant, j’ai peur. Le peuple m’a choisi pour le diriger, et si je me tiens devant lui sans force ni courage, lui aussi sombrera. Je suis au bout de mes forces. Je n’ai plus rien. Je suis arrivé à un point où il m’est totalement impossible de tout affronter tout seul’.

À ce moment-là, j’ai ressenti la présence du Divin comme je ne l’avais jamais ressentie auparavant. J’ai eu l’impression de sentir la sécurité rassurante d’une voix intérieure qui me disait: ‘Défends la justice, défends la vérité. Dieu sera toujours de ton côté.’ Presque immédiatement, j’ai senti mes craintes disparaître. Mon incertitude a disparu. La situation restait la même, mais Dieu m’avait donné la paix intérieure.

Trois nuits plus tard, une bombe a été posée dans ma maison. Étrangement, j’ai accueilli l’alerte à la bombe avec sérénité. Mon expérience avec Dieu m’avait donné une nouvelle vigueur et un nouvel élan. Je savais maintenant que Dieu peut nous donner les ressources intérieures dont nous avons besoin pour faire face aux tempêtes et aux problèmes de la vie.

[…] Lorsque les nuages bas assombrissent nos jours et que les nuits deviennent plus sombres que mille demi-nuits, souvenons-nous qu’il existe dans l’univers une grande et bienveillante Puissance, dont le nom est Dieu, qui peut trouver un chemin là où il n’y en a pas et transformer les lugubres journées d’hier en lendemains radieux. Il est notre espoir de devenir des hommes meilleurs. C’est notre mandat pour essayer de faire un monde meilleur. »

Sans quitter le cas particulier de Martin Luther King, nous en arrivons ainsi à la question centrale de cet article: comment cesser de penser que ce qu’il recherchait est finalement resté une pure utopie? Il est vrai qu’avec leur propre sacrifice, le droit de vote des Noirs a été obtenu. Mais, grâce à d’autres mécanismes plus complexes et plus subtils, continue d’être réalisé l’assujettissement des Noirs, leur exclusion sociale, leur surpopulation carcérale, etc. Et probablement encore pire pour Martin Luther King serait la trahison de plusieurs des siens: Condoleezza Rice, Barack Obama… Trahison dans ce qu’il considérait comme encore plus grave que l’absence de droits civiques: les guerres d’agression des États-Unis et leur armement incontrôlé: « Une nation qui dépense plus d’argent en armements militaires qu’en programmes sociaux s’approche de sa mort spirituelle ».

Mais non: malgré tout, son « rêve » n’est pas resté une simple utopie non réalisée. Le temps de Dieu est évolutif, pas personnel. Le Mahatma Gandhi le savait bien: « Nous devons faire notre part et laisser le reste à Dieu. La prière a sauvé ma vie ». C’est la seule réponse que j’ai pu donner à Victoire Ingabire Umuhoza lorsqu’elle m’a confié qu’elle était troublée par la crainte qu’en entrant au Rwanda, les massacres de masse ne se déclencheraient à nouveau au cas où elle serait tuée. Et bien que cet article soit centré sur elle, car je la connais bien et qu’elle est à nouveau en danger maintenant, de nombreux autres Rwandais sont également dans mon esprit et dans mon cœur en ce moment. Surtout certains que j’ai eu l’honneur de connaître, qui sont des croyants convaincus et qui sont actuellement en prison. Comme Deo Mushayidi ou Paul Rusesabagina.

 
Mais tout cela comporte une dimension de sacrifice personnel qui est insupportable pour presque tout être humain. Sans la grâce divine, ce prétendu triomphe de la justice dans un futur Nouveau Monde utopique est, s’il arrive un jour, trop éthéré dans un temps trop long pour être le fondement d’un abandon absolu de sa propre vie. Sans parler de notre bonheur. Or, ce n’est pas vrai non plus, et encore moins chrétienne. Pour le prouver, je terminerai par les dernières paroles publiques de Martin Luther King, prononcées la nuit de son assassinat. Des mots qui montrent que ce sacrifice personnel est plutôt un accomplissement personnel rempli d’une consolation incompréhensible, inimaginable pour ceux qui ne sont pas prêts à faire un tel pas. Une consolation qui, en parlant de réalisme, est certainement beaucoup plus réelle que presque toutes les choses que nous avons tendance à considérer comme réelles. Ces mots et les images de cette scène sont un joyau, un véritable héritage spirituel de l’humanité:

« Des jours difficiles nous attendent. Mais je m’en fiche maintenant, parce que j’ai été au sommet de la montagne. Ça ne me dérange pas. Comme tout le monde, j’aimerais vivre longtemps. Mais je ne me soucie pas de ça maintenant. Je veux juste faire la volonté de Dieu. Et il m’a permis de gravir la montagne. J’ai regardé et j’ai vu la Terre promise. Je n’y arriverai peut-être pas avec vous. Mais je veux que vous sachiez ce soir que nous, en tant que peuple, atteindrons la Terre promise. Alors ce soir, je suis heureux, je ne m’inquiète de rien, je ne crains aucun homme, mes yeux ont vu la gloire de l’avènement du Seigneur! »

Il suffit de voir le visage de Martin Luther King ou celui de Victoire Ingabire Umuhoza, enfin libérée de son emprisonnement de huit ans dans une petite cellule sombre et toujours en extrême danger pour sa vie; il suffit de voir la sérénité, la force et la dignité que tous deux dégagent, prêts à sacrifier leur vie; il suffit d’entendre comment tous deux se réfèrent à leurs profondes convictions spirituelles (en totale liberté par rapport aux conventionnalismes politiquement corrects de nos sociétés et aux péroraisons arrogantes de nos intellectuels rationnels)… pour vérifier que, dans leurs situations personnelles difficiles, ils sont intérieurement bien mieux que les « grands » de la realpolitik ou que tous ceux qui placent dans ces « grands » une autorité qu’ils ne détiennent pas réellement ; pour vérifier qu’eux, les « rêveurs », sont les vrais réalistes; pour vérifier que leur fidélité « inefficace » à ce que Mahatma Gandhi appelait la douce voix intérieure est ce qui change finalement le cours de l’histoire au profit de tous, y compris des personnes prudentes et sensées qui n’ont pas pu saisir la grandeur de leur vie étrange, conflictuelle, utopique et mystique.

[Joan Carrero, 29.10.2021]

Source : I-Hora

Des Tutsis emprisonnés pour génocide au Rwanda pour avoir refusé de faire partie des menteurs.

Les accusés de génocide en comparution devant les juges Gacaca

Introduction

Quand on parle de procès de génocide commis contre des Tutsis, on im plique implicitement des Hutus qui ont été jugés et condamnés à des années de prison. Evidemment, c’est compréhensible car les victimes étaient en général des Tutsis proches de ceux qui avaient attaqué le pays en 1990 et qui gagneront la guerre après 4 ans de lutte. Cependant, étant donné les abus auxquels se livreront les juges, certains Tutsi honnêtes refuseront d’être de faux informateurs et seront punis. Qu’est-ce qui a poussé ces vaillants hommes à transcender les clivages ethniques et à rester intransigeants bon gré mal gré ? Ces lignes abordent succinctement cette rare réalité.

1.Les faits

Safari est tutsi et certains de ses frères sont partis rejoindre la rébellion du FPR et le quartier en est conscient car ces jeunes ne sont plus visibles dans le quartier des pauvres de Kiyovu.

D’ailleurs son petit frère aura joué un grand rôle dans la libération de certaines victimes qui séjournaient à la paroisse Sainte Famille car comme il habite dans la localité, il leur a montré les chemins les plus discrets.

Dans sa cachette, Safari était avec d’autres Tutsis, dont un vieil homme qui lui a donné son testament lui demandant de le transmettre à ses enfants s’il en sort vivant; Safari fait de même.

Soudain, une bombe disperse les fugitifs et le vieil homme est ensuite tué mais Safari en sort indemne.

Lors des procès gacaca, Safari qui a recouvré ses fonctions de président laïc de la paroisse Sainte Famille et ayant épousé une femme hutue est appelé à témoigner contre les hutus qui ont tué des personnes dans leur quartier. Il a révélé ce qu’il savait mais il a refusé de témoigner contre des accusés innocents et cela a déclenché la colère de certains extrémistes qui se sont mis à le scruter et ont découvert qu’il ne peut pas jouer leur jeu tant que sa femme est une hutue et qu’il s’attache à l’église catholique  dont le rôle dans le génocide est évident selon eux.

Ils en profitent pour exploiter le testament qu’il a reçu du vieillard décédé et lui demandent d’expliquer les circonstances de sa mort en mettant de côté le fait qu’il a été tué plus tard lorsque le fugitif avait été dispersé par les bombes. Il est condamné à 17 ans de prison. de prison et à 19 ans en appel.

K.S est un habitant tutsi de Bumbogo dans la campagne de Kigali, aujourd’hui district de Gasabo dans la ville de Kigali. Lors du procès de Kamuhanda Jean de Dieu qui était ministre dans le gouvernement nommé après le crash de l’avion du président Habyarimana Juvénal, le ministère de la justice l’a invité à faire partie des témoins qui déposaient devant le TPIR. Il répondit qu’il était chrétien et qu’il ne connaissait pas cet homme et qu’il n’avait rien à témoigner sur son cas. Les agents du ministère lui ont dit qu’ils étaient au courant mais qu’il était mieux indiqué car il est originaire de la même région que l’accusé et que ce fait suffit à convaincre le juge et mieux encore qu’ils lui livreront ce qu’il dira devant le tribunal. Il a catégoriquement rejeté l’offre et est rentré chez lui. Lors des procès Gacaca de leur région, il est étonnamment accusé d’avoir aidé des criminels hutus lors du génocide et il est condamné à 17 ans de prison. Sa fille que nous avons rencontrée a raconté que le père n’a pas été jugé pour faits de génocide étant donné qu’il s’était caché avec d’autres Tutsis en fuite et n’a commis aucun acte de complicité mais il est vraiment puni pour avoir entendu des secrets d’Etat et n’avoir pas accepté la mission qui lui a été confiée ; que l’emprisonnement est inférieur à ce qu’il devrait subir pour une telle inconduite vis-à-vis du régime.

M.J.P est un Tutsi rescapé du génocide et était dans une session Gacaca qui remplissait les listes des accusés de génocide dans le secteur Mutete et un faux témoin l’a cité parmi les victimes d’un voisin qui a été dénoncé. Demandant la parole, il réfuta toutes les déclarations du témoin et comme preuve tangible; il déclara que le nom d’une victime prétendument tuée lui appartenait et invita le tribunal à éviter de telles personnes car elles serviraient à tromper toutes les décisions attendues de lui. Lors du procès des Gacaca, MJP. est accusé d’avoir assisté à une réunion de milices Interahamwe qui préparaient des tueries dans la région ; cet ancien faux témoin dont les déclarations avaient été réfutées fait partie des témoins l’accusant de faits et il est condamné à 10 ans de prison.

Les illustrations sont nombreuses, mais ces trois suffisent à rendre compte du phénomène oublié.

2.Analyse

Ce cas précis des Tutsis qui n’ont pas accepté l’instrumentalisation des procès gacaca pour réprimer tous les Hutus comprenant même des innocents est une autre preuve tangible de l’échec de ce système extrajudiciaire gacaca. En effet, les opposants aux gacaca craignaient que le recours aux juridictions gacaca – traditionnellement réservées aux petits litiges civils – ne minimise la gravité des crimes. Certains se sont également demandé si les citoyens ordinaires, souvent sans instruction et sans formation juridique formelle, avaient les compétences nécessaires pour gérer les procès et appliquer correctement les lois nationales. D’autres craignaient que les parents et amis ayant des liens étroits avec la communauté ne soient indûment influencés et fassent preuve de partialité dans leurs décisions, créant ainsi de nouveaux conflits et tensions.

Les partisans des gacaca se sont opposés à ces réserves et ont finalement gagné. Ils ont souligné que l’utilisation des gacaca pour les crimes de génocide ne banaliserait pas les crimes, mais forcerait plutôt les communautés à traiter les crimes au niveau où ils ont été commis et aiderait à mettre fin à l’impunité localement. Ils ont également fait valoir que les citoyens ordinaires pourraient être formés pour appliquer correctement la loi et pourraient recevoir l’assistance d’avocats si nécessaire. Certains membres ont déclaré que la tenue des procès en public réduirait le risque que les juges prennent parti et découragerait les membres de la communauté de faire de faux témoignages. Dans leur réflexion, les avantages de l’utilisation des gacaca pour individualiser la culpabilité, pour dissiper l’idée que tous les Hutus ont commis un génocide et pour donner aux Rwandais ordinaires un rôle actif dans la justice pour le génocide l’emportaient de loin sur toutes les limitations potentielles.

Cependant, de nombreuses lacunes peuvent être attribuées au compromis le plus important fait en choisissant d’utiliser les gacaca pour juger les affaires de génocide : la restriction des droits à un procès équitable de l’accusé. Bien que ces droits soient garantis à la fois par le droit rwandais et le droit international, les lois gacaca n’ont pas mis en place de garanties adéquates pour garantir que tous les accusés comparaissant devant les juridictions gacaca bénéficieraient d’un procès équitable. Les lois gacaca ont tenté de trouver un équilibre en protégeant certains droits, notamment le droit d’être présumé innocent jusqu’à preuve du contraire ; en modifier d’autres, comme le droit de disposer d’un temps suffisant pour préparer sa défense ; et sacrifier complètement les autres, y compris le droit à un avocat. Des dizaines de cas mentionnés montrent comment ces manquements à une procédure régulière ont directement contribué aux irrégularités des procès gacaca. Le gouvernement a fait valoir que les droits traditionnels à un procès équitable n’étaient pas nécessaires parce que les membres de la communauté locale – qui ont été témoins des événements de 1994 et savaient ce qui s’était réellement passé – participeraient aux procès et interviendraient pour dénoncer les faux témoignages d’autres membres de la communauté ou la partialité des juges. Contrairement à ces attentes, cependant, les Rwandais qui ont été témoins de procédures injustes ou partiales ont décidé de ne pas s’exprimer parce qu’ils craignaient les répercussions potentielles (allant des poursuites pénales à l’ostracisme social) et ont plutôt participé passivement au processus gacaca. Sans une participation populaire active, les procès étaient plus facilement manipulés et ne révélaient pas toujours la vérité sur les événements qui se sont passés au sein des communautés locales.

Conclusion

Certaines personnes courageuses se sont échappées du panier ethnique et ont combattu sans crainte l’injustice à leurs risques et périls comme c’est le cas de Karasira qui fait face à des poursuites pénales pour avoir dit la “vérité”. Et ce cas de Tutsi qui a rejeté le mensonge commun est un fait supplémentaire aux multiples lacunes et échecs des procès pour génocide qu’il importe de dénoncer haut et fort: violations fondamentales du droit à un procès équitable et limitations de la capacité des accusés à se défendre efficacement ; une prise de décision erronée (souvent causée par les liens des juges avec les parties dans une affaire ou des idées préconçues sur ce qui s’est passé pendant le génocide) conduisant à des allégations d’erreurs judiciaires ; des affaires fondées sur ce qui semblait être des accusations inventées de toutes pièces, liées, dans certains cas, à la volonté du gouvernement de faire taire les critiques (journalistes, militants des droits humains et fonctionnaires) ou à des différends entre voisins et même parents ; l’intimidation des témoins à décharge par des juges ou des fonctionnaires ; corruption des juges pour obtenir le verdict souhaité ; et d’autres irrégularités graves de procédure.

The Rwandan Lawyer